Les exercices sont-ils incontournables dans les douleurs d’épaule ?

C’est un constat : les exercices ont la cote chez les kinésithérapeutes. Dans cet article nous nous intéressons à la place de ces derniers dans la prise en charge des patients qui présentent des douleurs d’épaule en lien avec la coiffe des rotateurs. Malgré leur popularité et les recommandations cliniques qui les identifient comme un traitement incontournable  (Doiron-Cadrin et al., 2020; Lafrance et al., 2022), certains auteurs remettent en question leur mise en oeuvre obligatoire.

Nous verrons ensemble pourquoi cette incertitude persiste, et quelles sont les meilleures façons d’appliquer les exercices pour soulager les douleurs liées à la coiffe des rotateurs.

Par Arnaud Van Marcke. Kinésithérapeute.

Les exercices sont-ils vraiment supérieurs ?

L’une des principales incertitudes entourant la thérapie par l’exercice pour les douleurs liées à la coiffe des rotateurs concerne l’absence de mécanismes d’action clairement établis (Powell et al. 2022).
Bien que l’exercice soit recommandé dans toutes les directives cliniques pour cette affection, les preuves sur lesquelles ces recommandations reposent sont de qualité variable. En effet, l’efficacité de l’exercice peut varier selon les patients, sans qu’il soit possible de définir des caractéristiques spécifiques qui prédisent les meilleurs résultats (Naunton et al. 2020; Steuri et al., 2017).

Cette incertitude s’explique en partie par le manque de compréhension des mécanismes par lesquels l’exercice pourrait améliorer la douleur ou la fonction de l’épaule, ainsi que par l’absence d’un consensus clair sur la meilleure approche à adopter.

Un autre facteur de doute réside dans la difficulté à établir des comparaisons efficaces avec des traitements de contrôle.

Par exemple, la seule étude de haute qualité ayant comparé un traitement associant thérapie manuelle et exercices à un placebo (ultrasons inactifs) n’a révélé aucune différence significative à 11 semaines. À 22 semaines le groupe ayant reçu l’exercice a montré une amélioration statistiquement significative de la douleur et de la fonction, mais la différence n’était pas cliniquement significative (Bennell et al., 2010).

Ces résultats remettent en question l’idée que l’exercice a des effets marqués, en soulignant que son efficacité peut être surestimée dans certaines études, et qu’il est essentiel d’utiliser des contrôles appropriés pour évaluer son véritable impact.

Une méta-analyse a confirmé que l’exercice, en particulier l’exercice de résistance progressive, présente des bénéfices pour la réduction de la douleur et l’amélioration de la fonction. Malheureusement, les preuves sont de faible qualité, et l’impact clinique reste limité (Naunton et al., 2020)

Toutefois, lorsque l’exercice est comparé à des traitements plus invasifs, comme les injections de corticostéroïdes ou la chirurgie, il n’y a pas non plus de différence significative à long terme, et il se révèle tout à fait comparable en termes d’efficacité sur des périodes plus courtes (Karjalainen et al., 2019; Lähdeoja et al., 2020; Hopewell et al., 2021).

Il est également important de noter que la variété des programmes d’exercices
proposés (types, doses, durées) rend difficile l’identification de la meilleure approche thérapeutique. En outre, certaines études n’ont montré aucun bénéfice supplémentaire lorsque l’exercice était ajouté à des programmes d’éducation ou de thérapie manuelle, remettant en cause l’idée selon laquelle l’exercice serait indispensable à la prise en charge des patients qui présentent des douleurs d’épaule en lien avec la coiffe des rotateurs.

Il est donc légitime de questionner la place des exercices dans la prise en charge de ces patients et ce, du fait de l’incompréhension des mécanismes d’action et du manque de preuves solides d’un intérêt clinique avéré. Il est tout de même important de souligner les difficultés à réaliser des études standardisées pour un sujet aussi vaste que “les exercices” et leur performance qui semble au moins égale comparée aux traitements invasifs.

Comment mettre en place des exercices ?

a. Exercice seul ou avec d’autres thérapies ?

La question de savoir si l’exercice doit être pratiqué isolément ou en complément d’autres traitements, comme la thérapie manuelle, suscite un intérêt croissant. Tandis que certains chercheurs suggèrent que l’association d’exercices et de thérapies manuelles offre des avantages supplémentaires (Peters et al., 2020; Michener et al., 2024), d’autres études n’ont pas observé de différence significative entre les deux approches (Paraskevopoulos et al. 2023).  Le choix de cette combinaison sera fait en fonction des préférences du patient et de celle du kinésithérapeute.

Ce qui importe finalement, c’est de personnaliser l’approche en fonction des besoins et des attentes du patient.

b. Un type d’exercice plus efficace que les autres ?

Lorsqu’il s’agit de choisir un type d’exercice, les options sont nombreuses : renforcement musculaire, exercices de contrôle moteur, contractions concentrique, excentrique ou statique, étirements… Toutefois, les recherches actuelles montrent peu de différence entre ces approches. Il semble que ce ne soit pas le type d’exercice en soi qui détermine le succès du traitement, mais plutôt la façon dont il est intégré au programme global, la fonction dont il est proposé et surtout l’adaptabilité au patient (Lewis et al. 2022; Dube et al. 2023).

Ce qui fait vraiment la différence, c’est de répondre aux besoins spécifiques du patient, en ajustant l’intensité et la fréquence des exercices selon sa tolérance et ses objectifs de rééducation.

c. Combien d’exercices faut-il prescrire ?

La question du dosage des exercices est centrale dans le traitement de la douleur à la coiffe des rotateurs. Les études révèlent que, même si des charges plus lourdes semblent offrir des résultats légèrement supérieurs pour certains patients, il n’existe pas de relation claire entre une intensité plus forte et une amélioration notable des symptômes. En d’autres termes, un programme d’exercices plus intense n’est pas nécessairement meilleur pour tout le monde (Clausen et al. 2021 & 2023).

Ce qui semble essentiel, c’est la fréquence et la constance des exercices, adaptées à chaque situation particulière, et non une quantité maximale imposée par des protocoles pré-établis.

d. Le rôle de la supervision dans les exercices

L’idée que l’exercice supervisé offre systématiquement de meilleurs résultats que l’exercice autonome a été largement débattue. D’un côté, certains soutiennent que la supervision permet de maximiser l’adhérence et la bonne exécution des mouvements (Roddy et al. 2020). De l’autre, les recherches montrent que les bénéfices à long terme de l’exercice ne dépendent pas forcément d’une surveillance constante (Gutierrez-Espinoza et al. 2020; Liaghat et al. 2021).

Une bonne éducation du patient et une autonomie acquise dès les premières étapes de la rééducation semblent tout aussi efficaces pour maintenir une pratique régulière et bénéfique à domicile.

e. Faut-il autoriser la douleur pendant les exercices ?

Beaucoup de kinésithérapeutes hésitent à autoriser le ressenti douloureux durant l’exercice, de peur d’aggraver la situation. Cependant, les études montrent que travailler avec une douleur modérée n’est pas nécessairement contre-productif. En fait, certains patients rapportent une amélioration de leurs symptômes après avoir réaliser des exercices dans une zone de douleur contrôlée, suggérant que ce n’est pas la douleur elle-même, mais la façon dont elle est gérée, qui influe sur les résultats (Smith et al. 2017).

Cette approche doit cependant rester guidée par les limites du patient, et un dialogue ouvert est essentiel pour évaluer la tolérance et ajuster les exercices en conséquence.

f. Les exercices impactent-ils la fonction ?

Une question importante qui émerge des recherches actuelles est celle de l’objectif final de l’exercice : soulager la douleur ou améliorer la fonction de l’épaule et du membre supérieur ? Si les exercices peuvent apporter un soulagement de la douleur, c’est souvent l’amélioration de la fonction qui demeure l’objectif à long terme. Le renforcement musculaire peut non seulement diminuer les douleurs aiguës, mais aussi préparer l’épaule à des tâches plus exigeantes au quotidien, telles que le travail ou les activités sportives.

Dépendant du contexte du patient, il est impératif d’aller explorer les différentes composantes de la fonction nécessaire au patient, comme l’endurance, le contrôle, la force, les amplitudes, etc.

g. Une approche plus humaine : l’expérience du patient

Au-delà des protocoles et des résultats mesurables, un aspect fondamental du traitement par l’exercice est la relation entre le patient et son thérapeute. Les recherches soulignent que l’expérience vécue par le patient, son implication dans la prise de décision et la personnalisation des exercices sont des facteurs déterminants dans l’efficacité du traitement. Les patients qui se sentent soutenus et dont les exercices sont adaptés à leur propre rythme sont plus enclins à continuer leur rééducation et à obtenir des résultats positifs.

Conclusion : l’exercice, une option incontournable malgré les incertitudes

En conclusion, bien que de nombreuses incertitudes subsistent autour de l’exacte manière dont l’exercice soulage les douleurs de la coiffe des rotateurs, il est clair que cette approche reste une pierre angulaire de la rééducation.

Un “traitement adéquat”, comme défini par le Lancet en 2017 (“The Right Care”) se doit d’être adapté pour optimiser la santé et le bien-être en apportant ce qui est nécessaire, voulu, cliniquement efficace, peu coûteux, équitable et responsable”. Les exercices répondent à ces critères en étant efficace (Babatunde et al., 2021; Naunton et al., 2020; Steuri et al., 2017), désiré , peu coûteux et personnalisable à souhait. Une écoute attentive des besoins et préférences du patient semble également être un des facteurs clés du succès. L’exploration continue de nouveaux mécanismes et la recherche clinique sont essentielles pour affiner notre compréhension de l’exercice thérapeutique, mais en attendant, cette méthode reste une option à privilégier pour de nombreux patients.

Note au TOP de la rédaction

Jared Powell et Jeremy Lewis effectuent depuis quelques années un travail continu sur l’épaule avec des articles remettant en question beaucoup de fondamentaux actuels ou du passé : l’abandon du terme de “conflit sous-acromial”, la véracité de la phrase tant entendue “vous devez renforcer votre épaule”, ou encore les mécanismes qui expliquent pourquoi les exercices peuvent aider les patients.

Cette remise en question perpétuelle et profonde peut chambouler pas mal des repères qui soutiennent notre pratique en tant que kinésithérapeute, mais elle peut également ouvrir de nouvelles perspectives.

Les exercices constituent la clé de voûte de toute prise en charge de coiffe des rotateurs. Bien que cet article en questionne les mécanismes d’action, nous voyons qu’ils restent efficaces et prônés comme la meilleure proposition actuelle dans ce type de prise en charge.

L’avenir est probablement à la personnalisation de ces traitements actifs mais aussi et surtout à l’optimisation du rôle éducationnel du kinésithérapeute.

Cet article vise à nous questionner quant à la manière de proposer des exercices dans la prise en charge des épaules douloureuses : est-il nécessaire de renforcer la coiffe pour améliorer le patient ? Est-il nécessaire de ne faire qu’un seul type d’exercice bien précis en interdisant toute douleur et avec des charges conséquentes ? Nous constatons qu’il reste encore bon nombre de questions qui restent sans réponse et que la prise en charge d’un patient qui présente des douleurs liées à la coiffe semble nécessiter une adaptabilité et une personnalisation continue en fonction de la clinique.